La fréquence aux couleurs de la France

Le discours de Sébastien Lecornu lors de la remise de l'Ordre National du Mérite à Elizabeth Nouar

11 décembre 2023 à 08:14
Le discours de Sébastien Lecornu lors de la remise de l'Ordre National du Mérite à Elizabeth Nouar

Le 6 décembre dernier, Elizabeth Nouar, la directrice générale de Radio Rythme Bleu s'est vu remettre les insignes de chevalier dans l’Ordre national du mérite de la part de Sébastien Lecornu, le ministre des Armées au Haut-Commissariat. Voici son discours :


Pour mon huitième séjour officiel sur le Caillou, après l’organisation de deux référendums d’autodétermination, la gestion d’une crise sanitaire, des dizaines d’heures de négociation et désormais l’organisation d’un sommet international, il me restait à me pencher sur une figure de ce territoire, qui rythme depuis 38 années de ses chroniques et de sa voix – inimitable – l’actualité de la Nouvelle-Calédonie.
Nulle autre que vous chère Elizabeth NOUAR !
Cet exercice relève lui aussi du défi, tant vous avez mêlé votre destin à celui de la Nouvelle-Calédonie, et tant le destin de la Nouvelle-Calédonie a marqué le vôtre. Arrivée en 1985 sur le Caillou pour une mission de six mois, vous ne cessez de repousser votre départ depuis 38 années. Sans doute, chère Elizabeth, qu’au fond, votre mission n’est pas terminée…*


Une mission : tenter le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France
Vous qui êtes fille de militaire, vous mesurez la portée du mot mission lorsque, jeune diplômée de Sciences Po Aix, après un stage à la Radio Alouette, aux côtés de Christian Prost – que je salue – ce dernier vous propose une mission un peu singulière.
A l’autre bout de la planète, la Nouvelle-Calédonie s’embrase dans un combat pour l’indépendance qui voit s’affronter deux camps. De hauts responsables à Paris veulent soutenir le camp du maintien dans la France et financent la création d’un média qui portera la voix de ceux qui veulent rester Français. Déjà passionnée par les idées politiques, vous dévorez les nouvelles qui arrivent de ce territoire si petit, si loin, ou le combat des idées fait rage dans le fracas des armes. A 24 ans, vous partez donc pour Nouméa, organiser un baroud d’honneur pour tenter d’éviter la rupture entre la Nouvelle-Calédonie et la France. Tout juste débarquée, vous rejoignez la petite équipe qui forme Radio Rythme Bleu autour de Christian Prost, dans un studio des hauteurs de Magenta, et organisez ce que vous appelez vous-même une « radio de combat ».


Les moyens sont limités mais le succès est immédiat. Attisant les craintes dans le camp adverse : la radio n’est pas autorisée, elle naît donc dans l’illégalité et les opposants à cette initiative ne laissent pas un jour passer sans demander la fermeture de votre média. Vous vous retrouvez dans une école de la débrouille formée d’une poignée de femmes et d’hommes aussi passionnés que téméraires.


Les obstacles sont nombreux, les risques aussi.
Dans le bouillonnement des « Evènements », poursuivre votre mission demande un peu de passion et – sans doute – beaucoup de courage, pour avancer sous la vindicte et la caillasse.
Et vous, chère Elizabeth, vous avancez… Au volant de votre voiture cabossée par les jets de pierres et les routes défoncées du Caillou, approchant – un micro à la main et d’un pas décidé – les grands chefs comme les gros bras des deux camps, qui demeurent tous saisis par cette jeune femme frêle à la coiffure ébouriffée, qui leur posent droit dans les yeux les questions – les plus basiques comme les plus dures – d’un ton assuré avant de les amadouer d’un sourire désarmant de gentillesse.
Le style Nouar est né : il continuera d’en déstabiliser plus d’un.


Une vocation : informer et convaincre
Et de militante débarquée à Nouméa pour vivre une aventure, vous devenez la journaliste passionnée, qui connait chacun depuis des années, qui dévore chaque jour l’actualité bouillonnante de ce Caillou que vous comparez à un monde à petite échelle où « tout va plus vite plus vite parce qu’il y a moins de gens ». Aussi appréciée que redoutée, ne cachant pas vos opinions sans jamais épargner personne, vous construisez aux côtés de Laurent Prost une rédaction qui compte désormais 23 salariés, et créez des rendez-vous devenus pour incontournable qui cadencent l’actualité politique calédonienne – et maintiennent éveillés les calédologues parisiens, qui, d’Oudinot ou de Matignon, suivent impatiemment les lenteurs et les soubresauts de la Nouvelle-Calédonie.

Vous êtes une femme engagée, et vous avez le courage de l’assumer. D’assumer vos idées et votre conviction ferme et intime que la Nouvelle-Calédonie doit rester dans la France. Mais aussi d’assumer vos amitiés, avec Jacques Lafleur d’abord, que vous accompagnerez dans son combat pour une Nouvelle-Calédonie française jusqu’en 2005. Pour Pierre Frogier ensuite, à qui vous n’avez jamais manqué dans les différents défis politiques et électoraux qu’il s’est lancés.

Au fond, vous cultivez depuis 38 années une forme de liberté, cherchant toujours à donner une voix à tous une partie des habitants de ce territoire qui ne savent pas de quoi l’avenir sera fait. A votre micro et sur votre standard, les craintes, les colères et les espoirs trouvent un écho qui résonne dans tout le Caillou.
Et depuis la guérilla qui a ensanglanté le territoire dans les années 1980, jusqu’au dernier référendum, vous vous êtes passionnée pour cette histoire qui s’écrivait sous vos yeux, travaillant 7 jours sur 7 ; ne ratant aucun comité des signataires, et prenant de rares vacances pour retrouver votre famille en Mayenne que lorsque vous êtes certaine qu’il ne se passera rien.
Ce processus de décolonisation remplit votre vie, il lui donne de l’intensité, de la passion et créé des amitiés sincères. Il a fait de vous l’une des plus grandes intervieweuses françaises – je le pense très sincèrement – vous qui avez reçu presque tous les premiers ministres depuis 38 ans en gardant la même simplicité et la même pugnacité.
Et dans le fond, cette mission est devenue votre vie, si bien qu’à chaque fois, vous décidez de prolonger cette mission à la tête de la radio aux couleurs de la France.


Un destin : la voix de la Nouvelle-Calédonie
La mission se terminera quand « la Nouvelle Calédonie sera définitivement inscrite dans la France », m’avez-vous confiée. Aussi, le 12 décembre 2021, lorsque vous entendez en direct depuis votre studio le président de la République française déclarer ces quelques mots : « la Nouvelle-Calédonie restera française parce que les Calédoniens l’ont décidé. », un grand frisson vous parcourt. La mission est réussie. Pour autant votre elle ne s’arrête pas, car l’histoire est encore faite de défis dans un paysage politique que vous connaissez par cœur, dont vous savez qu’il est capable de tous les rebondissements et de tout remettre en question.


Au milieu, vous agissez comme une vigie ;
Vous qui les connaissez tous, qui les avez vus les armes à la main ;
Vous qui n’oubliez rien de leurs prises de position depuis plus de 30 ans ;
Vous qui nous exhortez – responsables politiques calédoniens et nationaux – à être au niveau de l’histoire qui s’écrit ici par votre connaissance inépuisable et votre analyse infaillible de cette terre de cocagne qui déchaine les passions.
En soutenant le maintien dans la France, vous en attendez sans doute encore plus de l’Etat, et vous avez raison.
Je l’ai vécu au cours des nombreuses interviews durant lesquelles vous m’avez reçu. Attendant dans le fond que les responsables de l’Etat adressent aux Calédoniens un message simple : dire ce qu’ils veulent pour la Nouvelle-Calédonie et pour la France, plutôt que de se cacher derrière la neutralité imposée par l’accord de Nouméa. C’est au fond une histoire très romantique que celle de la Nouvelle-Calédonie, celle d’un territoire qui ne laisse personne indifférent, où trop de personnes peinent à se dire des choses très simples, pour vivre ensemble et en paix sur cette terre qu’ils aiment.
Vous les y aidez chaque semaine à travers vos interviews et votre chronique qui bruissent à travers tout le Caillou, de votre voix rauque et rassurante.
Je souhaitais aujourd’hui, au nom du président de la République, vous en remercier, chère Elizabeth, et vous prier de continuer.

En direct